Les Arméniens ne sont pas certes les seuls à avoir été bouleversés par l’annonce de la mort de Charles Aznavour. Celui que CNN et les lecteurs du Times Online avaient élu «artiste de variété du XXe siècle» comptait des millions de fans tout autour du globe. Impossible d’y échapper. Pas un endroit au monde où l’on ne finisse par entendre, au petit bonheur d’un vieux transistor improbable, l’une de ses chansons. Les Arméniens étaient fiers de sa réussite. Mais leur relation avec lui revêtait une tout autre dimension, qui n’avait rien à voir avec la variété française. Car celui qui s’appelait de son vrai nom Shahnourh Varinag Aznavourian était fils de rescapés du premier génocide du XXe siècle. Il était le plus connu d’entre eux. Le seul en tout cas à être mondialement connu. Ce qui représentait une opportunité dont on a du mal à imaginer la portée pour des victimes qui ont été elles notoirement inconnues… Il a fallu attendre le 29 janvier 2001 pour que le Parlement français reconnaisse le génocide arménien. Exterminés aux deux tiers par les Turcs à la suite d’une série de massacres qui ont atteint leur apogée en 1915, les débris de ce peuple assassiné avaient été atomisés aux 4 vents et réduits au silence.
Ces rescapés sont restés pendant des décennies littéralement sans voix. Or la voix de l’un d’entre eux, le fils de Micha Aznavourian et Knar Baghdassarian né rue Monsieur-le-Prince à Paris 6e, a fini par se faire entendre. C’est dire l’espoir qu’il a représenté. Et la mission dont il s’est vu immédiatement investi dès qu’il a commencé à percer. Cette cause arménienne, Charles Aznavour en était dépositaire, comme tous les descendants des victimes. Mais rien ne le prédestinait à en devenir le porte-parole. Ce qu’il fut pourtant. Son domaine à lui, c’était la chanson. Pas la politique, dont il maîtrisait mal la rhétorique. Même s’il a été plongé dedans dès son enfance de par sa condition de fils de réfugiés et puis dans sa jeunesse par l’engagement de ses parents qu’il a notamment aidés à cacher des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale. Mais son mode d’expression privilégié était la chanson. Les mots, bien sûr. Mais de préférence posés sur des notes de musique. Un art dans lequel il excellait et qui lui a permis d’atteindre la célébrité dont il s’est servi ensuite pour défendre les siens, à chaque fois que l’occasion lui en était donnée. Les siens, mais aussi les autres, en se solidarisant du combat des réfugiés. Il avait même vu Sarkozy puis Hollande pour leur demander de mettre à profit leurs compétences et leur force de travail dans les villages en butte à la désertification rurale. Défenseur de la cause arménienne, pétitionnaire de la lutte contre le négationnisme, Aznavour ne voulait en aucun cas être prisonnier d’un carcan nationaliste. Il prenait toujours soin de dissocier le peuple turc, dans lequel il comptait de proches amis et aussi des fans, de ses gouvernements qu’il a en permanence dénoncés et dont il a à plusieurs reprises refusé les invitations et les tentatives de récupération.
Peut-être d’ailleurs faut-il chercher les raisons de son succès planétaire dans cet universalisme qu’il avait chevillé au corps. «Ma maison ce sont les Nations-Unies», aimait-il à dire en évoquant les mariages de ses filles avec un Juif, un Chrétien, un Musulman et de son fils avec une Arménienne du pays. Ce qui ne l’empêchait pas de savoir d’où il venait et à quelle nation il était redevable. D’où sa définition mathématiquement improbable de lui même lorsqu’il s’autoproclamait 100% français et 100% arménien.
Une chose est sûre. Depuis des années, Aznavour commençait son tour de chant par l’une de ses compositions fétiches, «les Emigrants» :
Comment crois-tu qu’ils sont venus?
Ils sont venus, les poches vides et les mains nues
Pour travailler à tour de bras
Et défricher un sol ingrat
Cet hommage vient nous rappeler qu’on peut naître de parents ayant débarqué sur un bateau de réfugiés et se retrouver des années plus tard à faire rayonner dans le monde entier la culture du pays qui vous a accordé l’asile. S’il n’y avait qu’une leçon à retenir de l’engagement de Charles Aznavour, ce serait certainement celle dans laquelle il se serait le plus reconnu, tant il était fidèle à ses racines et fier pour la France de son incroyable réussite. Un jeune homme de 94 ans nous a quittés dans la nuit de dimanche à lundi, avec de l’amour plein les yeux. On comprend encore mieux pourquoi il le chantait si bien. Et qu’il était tant aimé.
«La Pythie a parlé : le défi de l’islamisme n’a pas été relevé.
— Eh bien soit. Concentrons-nous sur le défi de l’extrême droite.
— OK. Par quoi on commence?
— À ton avis?
— Et toi? tu dis rien?
— Vous connaissez mon point de vue sur la question…
— C’est-à-dire?
— Je ne vous ai jamais caché mon sentiment quant aux dérouillées civilisationnelles que nous fait encourir l’État de droit lorsqu’il partage sa couche avec l’alien des totalitarismes. D’après mes sources, il n’existe qu’un moyen sérieux de relever le défi de l’extrême droite : relever uniment, donc unanimement, celui de tous les extrémismes.
— Alors, on est foutu!
— Ah ça! Assurons-nous d’abord que nous avons bien déchiffré la sentence pythique.
— Ouais… on va faire ça.»
Tout à été dit, suivre le sillon laissé par un grand Frère et à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice c’est le Devoir des filles et fils de la diaspora Arménienne . Reposez en paix Monsieur Aznavour ,Merci pour le travail si bien accompli.
On compose un poème de même que les portées de notes sont constellées d’intelligibles, descriptifs ou méditatifs, évanescents ou bruts, aussi difficiles à interpréter qu’un circuit imprimé littéraire. «Garçon! une paire d’ailes maculées pour monsieur Garvarentz.» Hommage oblige…
Il serait pervers et veule, — on la refait. Il serait hérétique de profiter que le poète Aznavour n’ait plus de voix pour lui faire dire ce contre quoi il s’inscrivait en farce. D’aucuns souhaiteraient qu’il leur simplifie une tâche dont il se glorifiait modestement d’en avoir enduré l’âpreté. Le rejet des migrants est abject, mais il est d’autres abjections non moins xénophobes. À commencer par celle qui consisterait dans une satisfaction douteuse à se proclamer — de manière tacite ; faut quand même pas charrier — et de culture étrangère et de nationalité française. Il n’y avait pas moins conservateur que le compositeur d’Être lorsqu’il s’agissait d’exportation de sa propre culture à travers un monde où il se sentait parfois bien seul à la porter haut en se hissant lui-même, au prix d’un effort constant et vigilant, à la hauteur de son objet. Charles Aznavour fait partie des légendes arméniennes au même titre que l’histoire juive réservera une place de choix à Benjamin Fondane ou à Darius Milhaud, se gardant toutefois de les déchoir de leur trajectoire comme l’avait fait un certain marécage assoiffé. Aimer la langue française est un bon début… mais il n’est point d’amour qui ne soit réciproque.
bonjour,
je souhaiterai joindre Ara Toranian, ou du moins lui envoyer un message personnel. Est-il possible de lui transmettre mon mail.
merci rd
Le facteur du crime sonne toujours deux fois, «la seconde par le silence», murmure Elie Wiesel, survivant lancinant. Le négationnisme traite les martyrs ultimes de la même façon qu’ils l’ont été : en les dépouillant de leurs propres dépouilles : en les privant de leur histoire limpide, rapide, liquidée ; en nettoyant le temps du plus infime germe de mémoire menaçant l’univers d’un resurgissement de ses fruits les plus vénéneux, ces allergènes dont il eût été préférable aux salopards et aux connards qu’ils ne naquissent jamais, ces anges mortels malencontreusement tombés de l’arbre de la Reconnaissance. La France peut s’honorer d’avoir fini, après un demi-siècle de déni avoisinant le crime susmentionné, par ouvrir grand les yeux sur sa participation à un génocide que les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale du XXe siècle n’avaient pas permis aux électeurs d’Adolf Hitler de refouler au tréfonds de leur inconscient collectif. Au tour de la Turquie de se replonger le nez dans une abomination qui, en raison de sa perpétration précoce, avait été noyée dans les boues putréfiées de la première Tuerie. Une fois démantelé, la neutralité de l’ennemi héréditaire de l’Europe lui avait assuré contenance et continuité. Elle conditionnerait son inclusion au sein de l’Alliance atlantique. Elle garantirait sa sécurité autant qu’elle nous préserverait d’une agression syrienne, ou irano-syrienne, ou soviéto-irano-syrienne. Ce paradigme n’est plus valable dès lors que le fournisseur d’armes du bloc de l’Est empiète sur notre pré carré en s’infiltrant jusque dans nos propres coalitions. Ne nous abusons pas. Ne nous amusons plus. Erdoğan est aujourd’hui un agent double à l’autorité duquel les grands et petits Turcs vont devoir se soustraire s’ils ne veulent pas nous trouver, un beau matin, sur tous leurs fronts.
La France a besoin de croire à nouveau dans la force du verbe, et un mot creux se brise trop aisément pour qu’on s’y laisse couler. La France aime Charles d’amour ? Qu’elle le prouve ! Qu’elle s’aime autant qu’il l’a aimée. Qu’elle aime surtout de la façon dont il aimait. Qu’elle se dote pour ce faire d’un Intérieur aznavourien. Que ce dernier se sache 100 % métèque, et que cela ne l’empêche pas d’être 100 % français. Le destin de Shahnourh ne prétend pas faire la démonstration que n’importe quel petit immigré venu de nulle part peut devenir l’incarnation même de son génie. Car Shahnourh Varinag Aznavourian n’est pas n’importe qui. Unique, il l’était comme tout un chacun : dès la naissance. Premier de sa catégorie, rien ne le laissait présager, si ce n’est qu’aucun Français, avant ou après lui, n’aura su placer l’une de ses cordes vocales sous la mèche inanticipable d’un archet invisible. Charles Aznavour était une plume à l’instant même où il disait une plume, un boulet de canon dès lors qu’il pointait un sévice qui l’atteignait au premier chef. Il était de ceux qui ne laissent rien passer quand d’autres meurent sans avoir rien laissé. Un testament s’écrit chaque minute. Un destin s’accomplit à proportion de la destination qu’il se fixe.
Qui oserait dire que Heine ou Nerval ont déserté leurs vases communicants? Cet homme qui était nous, qu’il fût ou non des nôtres, ne nous quitte pas d’un somme. Transfigurant le personnage du Cabotin sous les traits d’un héros abyssal, toranisant le tragique de l’Histoire de par l’empoignade des Destins, surprenant ici un défaut, là une qualité qui lui avaient échappé alors qu’il nous scrutait, nous soulignait, nous guérissait mieux qu’une flaque de l’affligeante incapacité dans laquelle nous étions de regarder notre visage en face, furieux et d’autant plus galvanisé d’être né après plutôt qu’avant un génocide, touché par les fulgurances d’une grâce qui, hélas, n’est pas aussi égalitaire qu’on le souhaiterait en matière de redistribution, Aznavour nous a peints comme nul autre. Il est logique qu’avant d’actionner le fermoir de son œuvre, il ait tenu à prendre la place du modèle.